Skrifterier.

Encre de Chine sur papier parcheminé, 27,6 x 33,3 cm.

Exceptionnel document marquant le basculement de la carrière littéraire à la carrière artistique de Dotremont. Le contexte de l'ébauche de ce "proto-logogramme" est l'exposition "Cobra et après (et même avant)" organisée du 31 mars au 14 avril 1962 à la galerie Aujourd'hui du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Dotremont avait demandé à Joseph Noiret de participer à l'organisation de cet événement. Le but de cette exposition est d'"offrir sur le groupe une perspective différente, dans laquelle les "non-peintres", et en particulier Dotremont lui-même, occupent la place qui leur est due" (cfr art. M. Godet), il a en effet l'impression d'avoir participé au succès des peintres Cobra mais d'avoir délaissé sa carrière. L'exposition ne présenta que des oeuvres graphiques (dessins, gouaches, aquarelles...) à laquelle Dotremont apporta sa contribution avec son "Skrifterier", mot danois qu'il a inventé signifiant "Scribouilleries" ou "Ecritouilleries". Dans une lettre à Claude Vermeylen datée du 27 février 1962, il explique son projet : "Voici ma participation à l’exposition : cinq pages d’écriture à placer sur du papier blanc, sur un seul papier blanc [...] le côté encre devant se trouver, vous le devinez, contre le papier blanc, pour que l’écriture apparaisse en transparence [...]". "Dotremont envoie donc de simples feuilles sur lesquelles il a écrit un texte à l’encre. Ces écritures sont rendues "exposables", graphiquement intéressantes, moins par le caractère expressif de leur tracé que par leur position : elles sont retournées et visibles par transparence. Il s’agit d’un prolongement direct de l’expérience de "Signification et sinification", relatée en 1950 dans le numéro 7 de la revue Cobra". Il considère lui-même cette première expérimentation destinée à être exposée comme peu satisfaisante, "Dotremont n’a pas encore libéré son tracé. De plus, il écrit alors à Vermeylen : "Je ne crois pas qu’il faille ajouter aux feuilles une dactylographie du texte, j’y ai pensé, mais le mystère en souffrirait." Il retranscrit pourtant le long texte" (M. Godet). Cela prouve qu'il reste attaché au contenu de l'écriture. Le logogramme tel qu’il le met au point à partir de 1963 parviendra à combiner expressivité formelle du tracé des mots et accès au contenu via la réécriture du texte sur le bord du papier.
On retrouve dans la retranscription du texte envoyée à Vermeylen par Dotremont l'extrait suivant : "Cette catastrophe de // chemin de fer // Cobra où nous ne // savions plus si c' // était Copenhague // ou Bruxelles ou // Amsterdam ni dedans // où nous échangions nos monstres". Ce qui semble indiquer que la feuille présentée en vente est une tentative pratiquement aboutie de cette expérimentation. Seuls deux documents relatifs à cette expérimentation sont localisées : celui que nous présentons en vente et une autre écriture sur papier calque conservée au Centre Pompidou, qui est de toute évidence un essai antérieur. Cette feuille constitue donc un rarissime témoignage de cette étape cruciale dans la carrière de Dotremont. Celui-ci comprend qu’il ne va pas suffire d’affirmer par écrit l’apport des poètes de Cobra : la revalorisation des "non-artistes" du groupe ira dès lors de pair avec sa propre transformation progressive en artiste [...]". On sent dans les mois qui précèdent l’exposition de la galerie Aujourd’hui une frustration par rapport à son absence de productivité artistique : "il serait plus facile de dessiner et de vendre mes dessins aux banquiers - mais je suis écrivain, je ne fais parfois que dessinailler!" Il lui sera nécessaire de combler ce manque pour accéder à la reconnaissance" (M. Godet).
Réf. Godet, Marie - "L’importance d’être un artiste. Dotremont et l’invention du logogramme", in : Europe. 97e année, mars 2019, n° 1079 (Christian Dotremont).
Prov. Joseph Noiret (mention ms.).